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Extrait de JDI n°5 janvier 2003

  • profession enseignant

cas d'école

"Mon premier poste en AIS"

Après un an de formation en IUFM, Sophie Gonzague a reçu sa première affectation : une classe d'enfants handicapés mentaux en région parisienne.

Une aventure difficile mais passionnante pour cette jeune enseignante de 27 ans.

" Quand j'ai appris mon affectation, j'ai été complètement estomaquée", confie Sophie Gonzague. Pour son premier poste, cette jeune enseignante de 27 ans s'est retrouvée en charge d'enfants handicapés mentaux, en Institut medico-éducatif de la région parisienne. Sa chance, dit-elle, c'est de l'avoir appris assez tôt pour rencontrer l'équipe enseignante avant les vacances d'été. "Ça m'a aidé à dédramatiser. Les enseignantes m'ont montré les cahiers des enfants que j'allais avoir à la rentrée et m'ont détaillé leurs niveaux respectifs.

Un été studieux

L'été, Sophie en a profité pour lire quelques livres sur la question, discuter avec un professeur spécialisé et construire des fichiers d'activités. Bref se préparer. l'autre jeune titulaire affectée dans l’école n’a pas eu la même chance. Informée en août, elle a vécu plus brutalement sa rentrée scolaire. " Le premier contact avec les enfants handicapés, c’est quand même un véritable choc, raconte Sophie. On voit parfois certains enfants crier, parler tout seul ou se rouler par terre. Rapidement en apprenant à les connaître, on regarde moins leurs handicaps et l’on s’attache vraiment à eux. "

Et même si Sophie Gonzague avait préparé sa rentrée, les premiers jours ont été difficiles. "  Au tout début, se souvient-elle, j’étais un peu désespérée. Mais heureusement ce sentiment est vite passé. Le fait d’avoir une fonction définie par rapport à eux, de savoir ce qu’on peut leur apporter, ça met plus à l’aise. Pour les premières séances, comme la plupart des nouveaux enseignants en AIS (Adaptation et Intégration scolaire) elle part avec trop d’ambition. Elle propose à ses élèves des exercices au-delà de leurs possibilités et elle est obligée de rectifier le tir pour s’adapter à leur niveau. " Malgré tout, j’essaie de ne pas baisser les bras. Je ne les lâche pas, même les plus flemmards. Surtout sur la lecture qui est un apprentissage essentiel pour eux. Je me suis fixé un programme avec des objectifs à atteindre. " A tout moment, elle leur parle comme à d’autres enfants de manière tout à fait ordinaire et intelligible. " Ils comprennent très bien ce qu’on dit. Il ne faut pas hésiter à s’opposer à eux et leur dire non. En fait, il faut toujours prendre comme référence des comportements ordinaires.

Une prise en charge individualisée

Pendant la journée, par tranche d’une heure ou deux, quatre groupes se succèdent dans sa classe. Cinq enfants de 6/7 ans qui ont un niveau de petite section. "  Il s’agit de les habituer à une ambiance de classe, rester sur une chaise, travailler sur un cahier… mais c’est très dur ! " Cinq élèves ont entre 7 et 10 ans et quatre entre 10 et 14 ans. " A ceux-là, j’essaie d’apprendre à lire. Seulement, les niveaux sont très disparates, alors je dois individualiser au maximum. " Le dernier groupe est constitué par un seul élève d’une dizaine d’années. Là, le seul objectif pour l’enseignante est de le faire asseoir et d’éviter qu’ils ne courent partout.

Les groupes sont réduits au minimum car il faut garder l’œil sur eux constamment. " Si je me retourne une seconde, je peux les retrouver entrain de déchirer une feuille ou de courir au fond de la classe. "

Le problème de l’autorité

Avec plusieurs stages en ZEP, pendant son année préparatoire, Sophie arrivait dans sa classe avec quelques principes : être très ferme au début et ne pas se laisser débordée. " En fait, la notion d’autorité est différente avec eux. Nous n’avons pas toutes les mêmes méthodes. Moi, j’essaie d’être souple. Les punir ou leur crier dessus cela ne sert souvent à rien. " Elle raconte le cas d’un de ses élèves obsédé par deux questions : " Quel jour est-il ? " et " C’est quand qu’on va à la piscine ? " Inlassablement ces conversations tournaient autour de ces deux thématiques. " C’est très usant. Il faut à chaque fois lui répéter qu’il connaît la réponse, que la piscine c’est vendredi, … J’ai crié une fois, il n’a pas compris pourquoi et ça n’a vraiment servi à rien ", confie-t-elle. Heureusement Sophie n’est pas seule. Régulièrement les membres de l’équipe éducative, enseignants mais aussi psychologues, aides-éducateurs, kinésithérapeutes se retrouvent en réunion. Un moment important qui doit servir à exposer les problèmes rencontrés et évaluer leurs progrès réalisés par les enfants. " Mais il ne faut pas tout miser là-dessus. Il n’y a pas toujours le dialogue nécessaire notamment par manque de temps. Personnellement, je travaille beaucoup avec l’autre jeune enseignante affectée ici. On parle de nos problèmes, on échange des idées, des conseils. ça m’aide vraiment. "

Un stage de formation

Autre soutien : la formation. Un mois après sa rentrée, Sophie a effectué un stage à l’Inspection pendant deux semaines. Elle y a retrouvé la vingtaine d’autres débutants affectés en A.I.S. " Cette formation a été vraiment riche. On a beaucoup parlé des questions d’apprentissage de la lecture. Des enseignants chevronnés sont venus décrire leur expérience. " Chacun a pu poser des questions et parler de ses problèmes. Sans jugement. Sophie a rapporté le cas d’un de ses élèves, très crispé sur son crayon et incapable dessiner, et les formateurs lui ont conseillé de passer par des activités motrices pour le débloquer. " Contrairement à la plupart des enfants, il n’y a pas de progression obligatoire. Il peut y avoir des périodes de stagnation, voire de régression, et l’on n’est pas toujours capable d’y remédier. "

En fait, il s’agit de réfléchir constamment aux manières d’adapter son enseignement. Par exemple, comment perfectionner en mathématiques un enfant qui ne sait pas lire. " Je ne peux pas utiliser les énoncés correspondant à son niveau en maths, car il ne pourrait pas les lire. Il faut alors chercher des solutions personnalisées. De toute façon, il n’y a pas de manuel. "

Après ce type d’expérience, les conseillers pédagogiques conseillent aux jeunes professeurs de repasser par des classes ordinaires. Mais beaucoup reviennent vers l’enseignement spécialisé quelques années plus tard.

Karine Portrait

La 25e ligne

 

 

 

Trois questions posées à Muriel Duplessy, IEN à Reims

  1. Quels conseils donner à un enseignant qui débute en AIS ?
  2. En premier lieu, l’enseignant doit définir son cadre de travail à la fois pour lui, les élèves et les autres partenaires. Il est donc important de se situer en tant qu’enseignant (et non en assistante sociale, éducateur, animateur, médecin, psychologue, etc.) et ensuite de poser le cadre de travail avec les élèves. C’est-à-dire présenter ses fonctions, ses façons de travailler, poser les règles de fonctionnement et énoncer les règles de communication dans la classe, les horaires… Tous les détails ont de l’importance (rangement des cartables, matériel nécessaire etc.)

    Avec les élèves de l’A.I.S., plus les repères sont clairement affichés, dits, répétés, ritualisés… plus ils sont rassurés, et plus vous limitez les crises d’angoisse (avec des élèves souffrant de certaines pathologies).

  3. Quelles sont les erreurs à éviter ?
  4. Il ne faut surtout pas entrer dans "  l’affectif " (plaindre les élèves, céder aux chantages) ou se " laisser balader "… Un seul pilote dans la classe ! Le plus grand respect et service que l’on peut donner à ces élèves, c’est de les considérer comme tous les enfants, les conduire à entrer dans les apprentissages et les rendre autonomes pour une insertion sociale réussie.

  5. Comment l’enseignant peut-il préparer sa rentrée ?

Il doit se référer aux textes qui régissent le lieu dans lequel il exerce (CLIS, IME, SEGPA, …) et réfléchir à l’installation de la classe (cadre). Il doit aussi penser à toute son organisation à l’avance et se procurer des outils d’évaluations afin de situer rapidement ses élèves. Il peut commencer à préparer les contenus, connaître ses missions générales pour ensuite adapter aux élèves, aux pratique de l’établissement.

Il est préférable, dans la mesure du possible, de se rendre sur les lieux d’exercice et de voir quels outils utilisés (manuels ? livrets d’évaluations ?).

 

 

Extrait de JDI n°6 février 2003

  • Profession enseignant

Cas d'école

"J'enseigne en CLIS

Delphine, 24 ans, travaille dans une CLIS près du Mans. Un poste difficile pour cette enseignante débutante qui n'a aucune formation spécialisée. Dans sa classe, chaque élève a un niveau scolaire et un handicap différent. Cette jeune professeur se sent un peu seule pour affronter cet univers étranger.

Delphine est PE2 sortante. Elle affronte donc son premier poste. Une année toujours difficile pour une jeune enseignante qui doit prendre seule une classe en main. Pour Delphine la difficulté est encore plus grande car elle travaille, sans n'avoir reçu aucune formation, dans une CLIS qui accueille 11 élèves handicapés mentaux. "De plus, il s'agit d'une nouvelle classe qui a été créée cette année dans l'école, "précise-t-elle. Une situation qui n'est pas extraordinaire (certains enseignants de CLIS sont issus de liste complémentaire, donc n'ont même pas eu de formation IUFM) mais qui reste très inconfortable. "Mes élèves ont entre 7 et 11 ans et souffrent tous d'un handicap différent, explique-t-elle. J'ai même un enfant trisomique."

Les premiers jours, Delphine se sent un peu perdue. Comment faut-il se comporter avec ces enfants ? Comment faut-il leur parler ? Quelle exigence peut-on avoir ? Personne ne peut répondre à ses questions. Elle ne connaît même pas précisément le handicap de chaque enfant. "Comme il s'agit d'une création de classe, il n'y avait pas d'historique des élèves. Je ne connaissais pas du tout leur niveau scolaire." Les collègues de cette grande école (12 classes) sont tout aussi désemparés. Déjà inquiets lorsqu'ils ont appris la création d'une CLIS dans l'école, ils n'ont pas vraiment "apprécié" de voir qu'une débutante allait s'en occuper.

Premier problème : comment organier sa classe. L'emploi du temps est un casse-tête. Chaque enfant est suivi sur le temps scolaire par des intervenants extérieurs (psychologue, psychomotricien, orthophoniste, …), tous les enfants sont intégrés en cours d'éducation physique en fonction de leur âge et certains rejoignent d'autres classes pour des séances de mathématiques ou de français. "La classe n'est entière que le lundi matin, explique Delphine. Sinon, il y a toujours du mouvement."

Deuxième problème : garder confiance en soi. " Au début, on doute de tout et les élèves s’en rendent vite compte, raconte-t-elle. Pour la discipline par exemple, je ne savais pas où fixer les limites. Après, on se rend compte que l’on peut demander beaucoup à ces élèves mais on a l ‘impression d’avoir perdu du temps. " Pour les enseignements, le problème est le même. Comment imaginer une progression quand on n’a pas une idée précise du niveau à atteindre ? " Le réseau d’aide m’a dit que ces enfants n’ont pas forcément une progression classique, explique-t-elle. Certains enfants peuvent par moments régresser mais comment réagir dans ce cas ?

Troisième problème : trouver de l’aide. Delphine a bénéficié de l’expérience d’une auxiliaire de vie mais cette dernière vient de partir en congé maternité. le réseau d’aide intervient mais il n’a pas le temps de s’occuper des problèmes au quotidien . " Nous essayons de nous rencontrer entre collègues chargés de CLIS, souligne Delphine. Nous aimerions pouvoir bénéficier d’une décharge pour que ces réunions soient plus régulières. "

Passionnée par son métier, Delphine commence à apprécier cette classe si particulière et songe peut-être à la garder l’année prochaine. Elle a, bien entendu, pris de l’assurance mais se sent encore seule pour faire face aux élèves. " Je souhaite parler à des personnes qui vivent ma situation ", conclut-elle.

 

 

Dédramatiser le handicap

Savoir que l'on a en charge des enfants handicapés mentaux légers n'est pas toujours facile à accepter quand cette situation n'est pas la conséquence d'un choix volontaire... Si on est prévenu un peu à l'avance, il est judicieux d'aller dans l'une de ces classes spécifiques pour se rendre compte de la réalité du terrain. Même s'il est fort probable que les enfants dont on aura la charge ne souffriront pas du même handicap, il est important d'aller voir car cela aide souvent à dédramatiser.

Après une ou deux visites, on s'aperçoit vite que le métier n'est pas si différent et que les enfants, malgré leur handicap, réagissent avant tout comme des élèves. Les livres spécialisés, même s'ils sont indispensables, ne remplacent pas une visite sur le terrain. On les comprend d'autant mieux si, dans sa tête, on a accepté l'idée de travailler avec des enfants un peu différents.

 

Echanger

C'est un conseil simple, mais tellement vrai dans cette situation qu'il est bon de le rappeler : il faut, dès le début de l'année, parler, échanger, se confier, demander de l'aide.

Les interlocuteurs sont nombreux. Les collègues spécialisés ou expérimentés, les parents qui ont appris à gérer le handicap de leur enfant, les associations toujours prêtes à donner un coup de main. Non seulement toutes ces personnes peuvent donner de précieux conseils mais, surtout, elles permettent de ne pas se laisser "enfermer" dans le handicap. Elles vous aideront à relativiser la situation. A la cantine, dans la cour, dans la salle des maîtres, les endroits et les moments d'échange ne manquent pas (même s'ils devraient être plus nombreux). Se poser des questions, douter, n'est pas l'apanage des enseignants (non formés) dans les classes spécialisés mais le quotidien de beaucoup de collègues.

 

Décloisonner

S'il est bon que tous les enfants soient ponctuellement intégrés dans des classes ordinaires pour apprendre à vivre en société, il peut être bon aussi pour l'enseignant de s'occuper d'une classe banale régulièrement. Organiser un décloisonnement a plusieurs avantages : ne pas perdre de vue le niveau demandé dans les autres classes et diversifier son travail. Encore une fois, cela peut être une solution pour dédramatiser la situation et ne pas perdre confiance en soi.

Pour les élèves, cela permet de s'habituer à changer de maître ou de maîtresse. Enfin, le décloisonnement favorise l'implication de toute l'école dans la gestion de la CLIS.

 

Déterminer les risques

Une des principales peurs des enseignants non-spécialisés qui enseignent en CLIS est d'aggraver le problème des enfants par un comportement involontairement malheureux. Cette peur peut se révéler un véritable frein à toute innovation pédagogique. Pour éviter cette paralysie, il faut déterminer le plus rapidement possible avec des spécialistes quels sont les risques.

Delphine qui ne savait pas si elle pouvait sévir pour maintenir l'ordre dans sa classe s'est vite rendue compte qu'il n'y avait pas de problème, que les élèves comprenaient et acceptaient parfaitement la notion d'autorité. Comme tous les enfants, ils avaient tendance à chahuter de plus en plus quand ils s'apercevaient que la maîtresse laissait faire.

 

Avoir son rôle en tête

Bien garder à l'esprit que l'on est enseignant et non éducateur, psychologue ou encore psychomotricien. le rôle de l'enseignant est avant tout d'inculquer des savoirs aux élèves. Il doit organiser son travail pour faciliter la progression des élèves en harmonie avec tout le personnel spécialisé qui s'occupe des enfants, mais il ne doit pas se substituer à eux. Rester dans son champ de compétences aide à ne pas se disperser. Cela permet également de ne pas perdre confiance en soi.

Il faut également prendre conscience que son rôle est aussi important que celui du personnel spécialisé. Delphine, qui regrette la dispersion des élèves entre tous les intervenants, est en droit de provoquer une réunion pour revoir cette organisation. Il n'est pas normal qu'elle ait du mal à faire vivre son groupe classe.